vendredi 8 décembre 2006

Avant ... dans mon salon, la liseuse lisait ...




L’arbre du Japon frissonne au gré de ma plume, il trône majestueusement sur la table du séjour, cette même table où je m’évertue à décrire mon salon avant la tempête.
Demain, en fin de matinée, cette pièce où se trouve un vieux sofa défoncé, s’embellira de trois nouveaux éléments.
C’est en effet, un salon en tissu, composé d’un canapé de trois places et de deux fauteuils, qui prendra place dans ce paradis blanc.
Plus tard, la blancheur hospitalière de cette pièce perdra de son éclat au profit d’un tapis oriental, capable, à lui seul, de couvrir le sol du salon.
Mais, aujourd’hui, tout est immobile.
Le carrelage fait écho au plafond sur lequel est solidement fixé un ventilateur à quatre hélices bois et or d’où pointe une énorme ampoule blanche égale à la couleur du globe.
Le long du ventilateur, pendent deux chaînettes métalliques, terminés chacune par une plaque, le tout doré et immobile, jusqu’à ce qu’une fenêtre s’entrouvre.
Au fond de la pièce, au sommet d’une affreuse bibliothèque en pin, Jupiter, sous les traits d’un aigle impassible et massif, déploie ses ailes dans le silence.
Des vers gloutons le perforent de part en part, le transformant, peu à peu, en cheval de Troie.
Gageons qu’il paraîtra, un jour, aussi décharné et misérable qu’un oisillon tombé du nid.
Pour l’heure, il demeure fort comme le bois dans lequel il est taillé. Son regard végétal scrute la poussière depuis les hauteurs.
A sa droite, figure un minuscule gong, portant un marteau de bois au bout arrondi.
Un peu plus loin, accroché sur l’Immaculée Conception, la Liseuse est éternellement penchée sur la même page, depuis plus de deux cents ans.
Vêtue d’une robe jaune, confortablement installée dans un fauteuil au coussin moelleux, elle tient son livre de sa main droite, tandis que sa main gauche repose sur ses jambes. Elle est si confortablement assise que voilà deux cents ans qu’elle n’ose bouger, de peur de ne plus retrouver cette position si apaisante. Aussi, lit-elle, depuis lors, la même page du même livre, chaque jour que Dieu fait.
La nuit, elle ferme les yeux pour s’endormir, et ce n’est qu’au matin, à la lumière de l’aube, qu’elle reprend son inlassable lecture. Ce qu’elle lit ? Nous ne le saurons jamais.
Toujours est-il qu’elle ne souffre pas, ni de crampes, ni de douleurs cervicales.
Son chignon est toujours bien mis, ses cheveux ont cessé de pousser le jour où elle a cessé de tourner les pages de son ouvrage.
Après le mythe de Sisyphe, nous voilà confrontés au mythe de la Liseuse. La nuit venue, alors qu’elle ne lit plus, elle rêve de poursuivre son histoire, aussi, tisse-t-elle, au creux de son sommeil, la suite de cette page. Chaque soir la Liseuse crée une nouvelle histoire.
Au dessus de cette jeune fille, sur un meuble bas, moyenâgeux, clouté, portant chaînes et clous, est posé un coffret du même acabit ainsi qu’un vase érotique orné de quatre Vestales nues; plus languissantes les unes que les autres.
Devant l’affreuse bibliothèque, servant de piédestal à Jupiter, se trouvent moult plantes d’intérieur : yuccas et ficus cohabitent dans la plus silencieuse intimité.
Enfin, dans l’angle du salon, au coin, là où l’on envoyait les élèves indisciplinés où ignares, a été installé le meuble renfermant tous les appareils à bruits et à images. Sur ce meuble : un écran translucide et une enceinte. Les portes de ce meuble sont souvent fermées, ainsi, l’horreur mécanicoélectronicaudiovisuelle est cachée.
Au dessus du « téléviseur », fait irruption, sur le paysage blanchâtre, une autre jeune fille, charmante, elle aussi, mais beaucoup moins sage que notre liseuse. Elle est littéralement vautrée sur des peaux de bêtes. Un bassin, lui sert de fond, dans lequel croissent des nénuphars.
En hauteur, à proprement parler, dans l’angle du salon, il y a une console en pin, jadis travaillée par l’oncle Marcel. Sur celle-ci est couché un bouquet de fleurs séchées, sur le mur de façade est placardé un ancien ami, symbolisé par un plateau cuivré, exécuté artisanalement dans son pays.
Face à ce même mur, une colonne en merisier contreplaqué abrite notre mémoire musicale. Mais qui est ce curieux personnage également cuivré, qui surplombe la colonne et domine l’espace ? Cet homme se nomme Dante Alighieri.

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