Dehors, on joue au foot.
Au travers de la grille, protégeant la fenêtre du bureau du conseiller principal d’éducation, se profile une lucarne à l’intérieur de laquelle un gosse se suspend à la barre horizontale : c’est le gardien.
Moi aussi je suis le gardien, je garde sacs et blousons, l’argent des élèves quelquefois.
C’est plus un bureau, c’est une consigne !
Actuellement, je suis dans ce bureau, fermé par une porte : « Ah, quel soulagement !»
- « Nique ta mère ! »
- « allez, merci, j’y vais ! »
Ces phrases proviennent de la fenêtre ouverte, les joueurs sont acharnés… après leur mère.
Derrière cette porte, c’est le bureau des pions : Un hall de gare avec un comptoir en bois, une chaise et une table derrière le comptoir, deux fauteuils et un relax devant.
- « Farouk ! », tiens, ça m’rappelle étrangement quelque chose… un gosse de la résidence, un p’tit con.
Ca doit faire une grosse demi-heure que je suis dans ce bureau, seul.
- « Ta mère ! Ton père ! Ta famille ! » Ces douces paroles s’élancent telles des verges molles contre la grille de la fenêtre grande ouverte.
Pour l’instant on ne me dit rien. Entre pions et appelés du contingent, le courant circule.
J’ai comme l’impression d’avoir été parachuté « Va niquer ta mère ! » là, sans raisons valables.
Je viens de dire à Naïma, la surveillante, que deux autres appelés du contingent allaient arriver.
Elle a répondu qu’il y avait de quoi faire ! Peut-être voulait-elle dire qu’il y avait des crayons à tailler, des timbres à coller, des élèves à tondre, d’autres à regarder ou que sais-je encore ?
La salle de permanence est accolée au bureau du conseiller principal d’éducation, par conséquent, les élèves traversent le dit bureau pour entrer et sortir de permanence : transit = foutoir.
Appel téléphonique de madame Le Corre du collège Vieux Port :
- « Attention ! Ca va sonner dans trente secondes et des élèves étrangers à l’établissement essaient de rentrer. Il faudrait un surveillant dans chaque cour. »
Je me précipite hors du bureau, je trouve les autres surveillants.
Madame Le Corre est le principal adjoint.
Elle surveille l’entrée du portail, aidée de surveillants.
Personnellement, je suis inutile, je ne suis pas en mesure de discerner les élèves inscrits dans l‘établissement des autres. Je vais donc m’occuper de ranger les élèves dans la cour lorsque retentira la deuxième sonnerie.
C’est alors, que survient une dame.
Son fils ne pourra pas effectuer la retenue qu’on lui a infligé le vendredi matin car il doit conduire sa petite sœur à la maternelle ; aussi, désire-t-elle que son fils fasse sa colle le vendredi après-midi.
Elle cherche le conseiller principal d’éducation, il n’est pas là.
Je lui propose de contacter l’autre CPE, celui de l’annexe du collège, celui de Lecas.
Sur ce arrive Michel, le CPE recherché.
La dame est pressée. Sur ces entre faits entre dans le bureau des surveillants le père d’une élève, accompagné de son petit garçon. Il vient chercher sa fille pour l’emmener faire des examens médicaux.
- « Tu sais, on les a faits en Algérie, et là on les a pas. Ici, c’est mieux qu’en Algérie, là-bas, tu sors comme tu veux. »
Je branche ce père de famille avec Sylvain, un militaire, puis avec Michel.
Il a neigé sur Artigues
Les bras en croix, sur sa couche angélique, Flavia est endormie…
Sa frimousse est apaisée, ses traits sont détendus ; bouche et yeux sont clos.
Un souffle régulier soulève sa poitrine bordée jusqu’à la hauteur du menton.
Ses petits doigts sont innocemment dépliés à quelques pouces des barreaux de bois vernis qui encadrent son lit d’enfant.
Rêves-tu ? Certainement.
A quoi donc ? Probablement à toutes les singeries que papa et maman ont mises en oeuvre pour te voir et pour t’entendre rire aux éclats.
Pour voir ton fin minois arborer détendre sourires ton joli nez se retrousser, tes grands yeux bleus qui s’étonnent et qui brillent du rire cristallin de l’enfance.
Dors mon amour ; demain matin, ton cœur de bouche nous régalera de merveilleux gazouillis mêlés à de doux rires enfantins.
Bonne nuit
Papa.
dimanche 10 décembre 2006
L'amour est comme les blés
On ensemence la terre comme on ensemence les cœurs.
Les blés germent sous terre comme l’amour secret.
Les blés crèvent la terre comme l’amour, au grand jour, apparaît.
Les blés croissent sous le soleil comme l’amour grandit.
Puis, survient la moisson où les blés sont fauchés.
L’amour se brise comme se bise le foin séché.
Il se consume comme un feu de paille en été.
Il se transforme en souvenir comme une meule de foin, au fenil, remisée.
L’amour est comme les blés, il peut aussi ressusciter.
Les grains de blé moulus donnent le pain.
Sa mie est chaude et moelleuse, sa croûte craque sous les doigts.
L’amour renaît, se gonfle.
Sa fibre est chaude et moelleuse, sa croûte craque sous les doigts.
Le pain nourrit, l’amour nourrit.
Le pain se partage, le pain se multiplie, l’amour aussi.
Puis arrive un jour où l’amour s’assagit.
Les toits de chaume abritent le foyer.
Ils sont chauds et envoûtants, comme l’amour, ils défient le temps.
Précarité
C’est bizarre cette sensation de précarité qui fait suite à la mort. La mort, c’est quelque chose de définitif, de stable, d’immobile, d’éternel.
Et pourtant, elle engendre ce sentiment d’instabilité ; rien de ce qui nous entoure ne nous appartient parce que nous mêmes ne nous appartenons plus. Nous devenons subitement locataires de nous mêmes.
Seule compte alors, la théorie de la relativité : On classe, on relativise, on évalue les événements de la vie, que l’on épingle sur une échelle de valeurs.
Rien n’a d’importance face à la mort.
Soudain, tout devient léger, seul compte l’amour, seul vaut la vie que l’on rêve de vivre, le reste n’existe pas, le reste n’existe plus.
La vie n’est-elle pas étrange ?
Tu n’es jamais venu chez nous. Les marches qui conduisaient à notre gîte étaient trop nombreuses pour tes jambes de laine, et à présent tu es là : un tas de cendres grises contenues dans une petite urne veinée de marbre miel.
Le contenant est aussi fin que le contenu, aussi fin que toi, que ton esprit, que tes mains, que tes jambes finement veinées, que tu rechignais à dénuder, sous ton short bleu ciel.
Polo de coton, chapeau de paille et short bleu ciel, voilà une image qui me rappelle l’été, ton été. Mais, à présent, tu n’es plus.
Cum pane
Partager son pain, sa compagne : cum pane.
Puisque l’ancienne langue le dit, rendons lui justice, que nos langues languissantes aillent lécher d’autres langues nouvelles.
Allons porter la bonne nouvelle de nos bouches gourmandes : « La chair est fraîche, la chair est ferme, aimons nous les uns les autres, charnellement s’entend, l’Atmân s’envole au gré de nos folies ».
L’individu s’épanouit, le couple a plus de fruit.
Donnons cette chance à nous qui sommes encore en vie.
Vivons pour eux, pour ces âmes mortes, ces parents et ces amis qui n’ont pu s’affranchir de la monotonie.
Allons voir ailleurs si l’herbe est plus verte, ne jouons pas les Attila mais savourons le Kama-Sutra.
Si tel est notre Karma, il faut s'y abandonner pour se mieux retrouver.
Leurs deux flammes dressées brûlent en silence, il est temps qu’elles crépitent, que coule la lave !
Ils vieillirons ensemble, l’anneau est toujours là.
Il t’aime, tu l’aimes, vous aimez, ils vous aiment et c’est ainsi.
Véronique
Véronique est assise à son bureau.
Devant ses yeux éteins : une machine à écrire en braille, un clavier de quelques touches seulement.
Une machine mécanique comme les vieilles machines à écrire des années 50, que l’on retrouve à présent dans les dépôts-ventes au milieu des phonos et des objets poussiéreux.
Une machine bruyante comme l’Enfer qui perfore le papier blanc comme une mitraillette mitraille une cible en carton.
La mort m'a parlé ce matin
La mort m’a parlé ce matin, pépé m’a appelé : « Maren », « bonjour Maren, qui c’est ça ? »
Sa voix était grave et monocorde, une voix d’outre tombe, inconnue des vivants.
La mort n’a pas qu’une faux, elle a aussi une voix.
La mort vit dans le corps des mourants, elle les gangrène, puis vomit outrageusement, par les pores détendus, ses reflets verdâtres ; alors, elle fait résonner sa lourde cloche dans les bouches béantes.
La mort n’est pas seulement ce visage céreux, figé dans la pénombre.
Elle travaille, elle mange, elle ronge, elle vit.
Lorsque le moribond est mort, c’est qu’elle digère; triomphante, elle s’exhibe aux yeux des vivants, et ce n’est qu’après, lorsque le mort disparaît, qu’elle part, elle aussi, vers d’autres vies.
Epitaphe
Ci-gît Georges Lafforgue : fils, frère, mari, oncle, frère, beau-frère, grand-père mais, au désespoir de son petit fils, pas encore … arrière grand-père.
Pourtant, les années étaient là en abondance, presque innombrables.
Quatre-vingt douze années de lumière !
Quatre générations de vingt ans et un vieux whisky de douze ans d’âge !
Lorsque je mis le nez dehors, mon grand père «venait d’avoir dix huit ans » … et un demi siècle.
Sa vie, depuis longtemps déjà, tournait au ralenti, accrochée à ses jeunes années comme de vieux souvenirs à dire et à redire.
Il y avait belle lurette que la truelle avait rejoint le ciel !
Seules quelques photographies m’ont fait savoir, qu’un jour, lui aussi, avait joui de la vie comme on chante de refrains ; jeune, il avait été, vigoureux et blagueur, séduisant et distingué.
Ma grand-mère, durant toute sa vie d’épouse, l’aura aimé comme la lune aime le soleil.
Sur la fin de ses heurs, nourrice elle se fit, son mari devint son petit, son enfant malade qui appelait « maman !» souvent, qui appelait « Jacqueline » en mourant.
Il n’en finit pas de mourir ; jusqu’à ce que survienne la caresse de la nuit…
Seul son humour lui survécut et il résonne, encore aujourd’hui au tréfonds de sa descendance dont je fais partie.
« Pépé, ton rire torrent, ta voix rocaille et tes yeux de saule, qui pleurent de rire et de douleur, suivant les saisons du ciel, suivant les saisons de ton cœur, seront des paysages figés dans nos mémoires où nous viendrons souvent te retrouver ; »
A bientôt, sous d’autres cieux que j’espère plus radieux…
Ton petit fils, Laurent.
samedi 9 décembre 2006
Amour ou jalousie ?!
Trois heures du matin.
Les cornes de l’angoisse tourmentent ses tripes enchevêtrées comme des anguilles.
La raison ne parvient pas à triompher du sentiment.
L’expérience est insupportable.
Fermer les yeux serait plonger au milieu de leurs ébats réels… ou bien fictifs, peu importe.
Elle est là-bas, avec lui, ils sont ensemble, l’un en l’autre ou l’un à côté de l’autre, unis dans la chair, unis par le regard, complices du sourire, complices des fous rires.
Est-ce bien là de la jalousie ? Non, c’est de l’amour.
En tout cas, ça comprime le souffle, ça suffoque, ça étouffe, ça fait jurer, ça fait maudire.
Et pourtant, elle en a le droit, il le lui a accordé. Il a le premier transgressé les liens sacrés.
Alors pourquoi cette haine ?
Pourquoi cette colère ?
Pourquoi cette intolérance ?
Pourquoi ce mal-être si profond ?
Revenir en arrière, tout effacer. Cela ne servirait à rien.
Ils se sont avoué que, de toute manière, ils allaient dans le mur, alors !
Plus de croix affichée entre les seins, trop de symboles, trop de caresses sous ses yeux, jaloux de son trésor.
Cette croix blanchâtre, claire, laiteuse, cette croix d’albâtre, d’ivoire, de mains, de bouches, de corps, de sang qui pulse, de cœur qui bat ! Plus de croix visible ! Plus de présence de lui, lui d’évidence !
Plus de prénom, plus d’identité.
L’invisible, le secret, le comme si, le jamais… il va falloir y penser.
Il ne veut pas savoir, il ne veut rien savoir, il veut l’oublier, lui, pour la retrouver, elle, et croire qu’elle est encore sienne.
La même passion, que celle qui rugit pour l'autre Elle, sort ses cris pour sa femme.
Il l’aime, il les aime, comme il l’aime!
Quatre heures du matin, il vient de parler à l'autre Elle.
Un bouche à bouche salutaire. De l’oxygène !!!
L’air vicié de la haine, l’air putride de la jalousie s’est un peu fait grignoter.
Et, pourtant… cependant, il espère qu’elle a vécu ce qu’elle avait à vivre, ça lui arrache la main d’écrire ça !
Il ne la blâme pas. D’ailleurs, c’est plus fort que la raison, c’est plus fort que lui, c’est plus fort que tout, ça ne se discute même pas.
C’est le cœur qui saigne, même si on lui avait parlé au cœur, avant ; même si on l’avait prévenu ! Il était au courant, il faisait son malin ! Mais là… il ne rigole plus le cœur là, hein ?!
Il fait moins son fier ! Allez, va te coucher.
Comment réagiras-tu quand elle rentrera ?
Comment la regarder ?
Comment ? Comment ? Comment ? Il verra !
L’amour a toutes les réponses, s'il est fidèle, il l ‘aidera à supporter tout ça.
Gautier
Un, deux, trois… je suis la mort, me revoilà, tu m’avais oubliée, mise de côté, mais je n’étais pas bien loin. Dans les entrailles de ta cousine, je couvais mes noirs desseins ; à Dame la vie, ma rivale, mon ennemie, j’ai joué un de mes tours favoris : J’ai surgi avant que la prêtresse n’apparaisse, je m’en délecte, j’aime lorsque j’anéantis.
Un, deux, trois, je suis partout, ne m’oublie pas ; j’ai capturé Dame tristesse et, à présent, elle te tient compagnie. Elle t’entoure, elle t’enlace. Et toi ! Tu tombes, tu trépasses. Elle est en toi, elle t’embrasse. Sa sœur Mélancolie est là, aussi ; mais ne leur cède pas encore, sois plus fort, réagis ! Chasse là de toi.
Un, deux, trois, elles sont plus fortes que moi, je n’y parviens pas. Je la connais, la mort, et ne peux baisser les yeux face à sa loi. Il me faut te contempler lorsque tu parais, quitte à me brûler, tu es une force comme moi, elle brûle et consume. Je suis à vif, c’est horrible, mon cerveau se réduit, mon corps se cache, mon cœur grossit, mon cœur occupe tout l’espace. Ca y est… Je suis un cœur. Ahimè di me ! C’est pure folie !
Où sont-ils ?
L’âme noire est en partance, loin de moi, elle vogue, sur les flots du Styx, elle se consume.
Adieu, chienne méchante, crève comme ceux de ta race savent crever !
Noyée, au fond d’un sac lesté d’un pavé.
Tu m’empêches de rêver, tu séquestres mes songes et éloignes la vie.
Tes tenailles rougies arrachent les viscères des pauvres hères, mais, une fois trouvée la parade, pour te vaincre et te briser, alors, on respire de tout son être, les couleurs de l’arc-en-ciel apparaissent au beau milieu du cœur et l’on rit, on rit à pleines dents !
Avec l’envie de mordre l’air pur, de voler dans l’azur.
Mon petit monde figure sur les cinq doigts de ma main. Sur mon annulaire gauche, trône ma compagne, d’or couronnée, sur mon auriculaire, juste à côté, se tient ma sœur d’âme bien aimée, mon majeur, lui, est à l’image de ma mère, le doigt fripon et vif.
C’est sur l’index que mon père repose, sur ses gardes, toujours dressé.
Sur le pouce se campe la douce croyante, jadis libertine.
Lorsque mon poing se serre, ils sont tous réunis, couchés sur ma paume encore douce et tiède.
Ma feuille d'automne
vendredi 8 décembre 2006
L’arbre du Japon frissonne au gré de ma plume, il trône majestueusement sur la table du séjour, cette même table où je m’évertue à décrire mon salon avant la tempête.
Demain, en fin de matinée, cette pièce où se trouve un vieux sofa défoncé, s’embellira de trois nouveaux éléments.
C’est en effet, un salon en tissu, composé d’un canapé de trois places et de deux fauteuils, qui prendra place dans ce paradis blanc.
Plus tard, la blancheur hospitalière de cette pièce perdra de son éclat au profit d’un tapis oriental, capable, à lui seul, de couvrir le sol du salon.
Mais, aujourd’hui, tout est immobile.
Le carrelage fait écho au plafond sur lequel est solidement fixé un ventilateur à quatre hélices bois et or d’où pointe une énorme ampoule blanche égale à la couleur du globe.
Le long du ventilateur, pendent deux chaînettes métalliques, terminés chacune par une plaque, le tout doré et immobile, jusqu’à ce qu’une fenêtre s’entrouvre.
Au fond de la pièce, au sommet d’une affreuse bibliothèque en pin, Jupiter, sous les traits d’un aigle impassible et massif, déploie ses ailes dans le silence.
Des vers gloutons le perforent de part en part, le transformant, peu à peu, en cheval de Troie.
Gageons qu’il paraîtra, un jour, aussi décharné et misérable qu’un oisillon tombé du nid.
Pour l’heure, il demeure fort comme le bois dans lequel il est taillé. Son regard végétal scrute la poussière depuis les hauteurs.
A sa droite, figure un minuscule gong, portant un marteau de bois au bout arrondi.
Un peu plus loin, accroché sur l’Immaculée Conception, la Liseuse est éternellement penchée sur la même page, depuis plus de deux cents ans.
Vêtue d’une robe jaune, confortablement installée dans un fauteuil au coussin moelleux, elle tient son livre de sa main droite, tandis que sa main gauche repose sur ses jambes. Elle est si confortablement assise que voilà deux cents ans qu’elle n’ose bouger, de peur de ne plus retrouver cette position si apaisante. Aussi, lit-elle, depuis lors, la même page du même livre, chaque jour que Dieu fait.
La nuit, elle ferme les yeux pour s’endormir, et ce n’est qu’au matin, à la lumière de l’aube, qu’elle reprend son inlassable lecture. Ce qu’elle lit ? Nous ne le saurons jamais.
Toujours est-il qu’elle ne souffre pas, ni de crampes, ni de douleurs cervicales.
Son chignon est toujours bien mis, ses cheveux ont cessé de pousser le jour où elle a cessé de tourner les pages de son ouvrage.
Après le mythe de Sisyphe, nous voilà confrontés au mythe de la Liseuse. La nuit venue, alors qu’elle ne lit plus, elle rêve de poursuivre son histoire, aussi, tisse-t-elle, au creux de son sommeil, la suite de cette page. Chaque soir la Liseuse crée une nouvelle histoire.
Au dessus de cette jeune fille, sur un meuble bas, moyenâgeux, clouté, portant chaînes et clous, est posé un coffret du même acabit ainsi qu’un vase érotique orné de quatre Vestales nues; plus languissantes les unes que les autres.
Devant l’affreuse bibliothèque, servant de piédestal à Jupiter, se trouvent moult plantes d’intérieur : yuccas et ficus cohabitent dans la plus silencieuse intimité.
Enfin, dans l’angle du salon, au coin, là où l’on envoyait les élèves indisciplinés où ignares, a été installé le meuble renfermant tous les appareils à bruits et à images. Sur ce meuble : un écran translucide et une enceinte. Les portes de ce meuble sont souvent fermées, ainsi, l’horreur mécanicoélectronicaudiovisuelle est cachée.
Au dessus du « téléviseur », fait irruption, sur le paysage blanchâtre, une autre jeune fille, charmante, elle aussi, mais beaucoup moins sage que notre liseuse. Elle est littéralement vautrée sur des peaux de bêtes. Un bassin, lui sert de fond, dans lequel croissent des nénuphars.
En hauteur, à proprement parler, dans l’angle du salon, il y a une console en pin, jadis travaillée par l’oncle Marcel. Sur celle-ci est couché un bouquet de fleurs séchées, sur le mur de façade est placardé un ancien ami, symbolisé par un plateau cuivré, exécuté artisanalement dans son pays.
Face à ce même mur, une colonne en merisier contreplaqué abrite notre mémoire musicale. Mais qui est ce curieux personnage également cuivré, qui surplombe la colonne et domine l’espace ? Cet homme se nomme Dante Alighieri.